Jacques Desrosiers, 1938-1996

Jacques Desrosiers, 1938-1996
« Plongé dans une réalité, morne et triste et face aux embûches de la vie, avoir un peu de rêve, quand on est enfant, c'est important! On devient déjà trop vite adulte, et on est trop vite plongé dans un réalisme brutal... J'ai vu des enfants de toutes les sortes, de toutes les couleurs! J'en ai pris sur mes genoux et j'en ai amusé beaucoup. Patof, c'était un monde pour eux. Vous auriez dû les voir toucher mon nez rouge, ils auraient voulu m'emmener chez eux! » (Jacques Desrosiers, Millionnaire, 1981)

Publié par Bespin le 30 décembre 2010 dans Biographie
Édité : 30 décembre 2010 12:54 PM

Le hangar « chez Plamondon »

Le hangar « chez Plamondon »
« Avec de l'argent, des millions, tu peux te payer ce que tu veux. Si tu t'aimes pas la face, tu peux même te la faire changer, descendre, remonter, comme tu veux!... Le physique, pas le moral!

Tu prends de l'âge? Les cures de rajeunissement, les stations thermales. La chute des cheveux? On peut t'en transplanter ou si tu aimes mieux, t'installer un toupet de la couleur que tu veux!

Mais je n'ai encore jamais rencontré un marchand qui me vendrait du temps! Bien du vent, mais jamais du temps!

J'aimerais bien entrer dans une boutique et demander au commis : "Deux semaines de mon adolescence, été 1955 s.v.p.?". Et l'autre de me répondre : "Pour porter à votre compte ou payer comptant?". Ou encore : "Donnez-moi vingt minutes chez Plamondon?". Et l'autre : "Voulez-vous le salon? — Non! Non! Le hangar, mercredi, 1952..." »

(Jacques Desrosiers, Millionnaire, 1981)

Publié par Bespin le 06 juin 2010 dans Biographie, Photos
Édité : 30 décembre 2010 8:58 AM

« Mais finalement, c'est quoi le succès? » (1/4)

Jacques Desrosiers

Quand Jacques Desrosiers se posait cette question dans son autobiographie intitulée « millionnaire », il faisait bien sûr référence à l'époque où il se pensait en pleine gloire quand il faisait salle comble dans les cabarets et que les journaux parlaient du fantaisiste Desrosiers... puis de l'époque plus rapprochée de Patof... qui lui a apporté une popularité immense, beaucoup de sous... des remises en question. C'est quoi le succès, Jacques?

Septième d'une famille de quinze enfants (dont la majorité sont devenus artistes), une mère musicienne, pianiste de concert qui a rapidement été obligée d'abandonner le clavier pour passer à la planche à laver, un père comédien (à qui Olivier Guimond doit son surnom de Ti-Zoune), chanteur, conférencier, homme politique qui s'intéressait au mouvement ouvrier. Jacques est le seul enfant du clan Desrosiers à ne manifester aucun talent artistique.

« Tout le monde chantait à la maison. Le seul qui n'était pas voué à la carrière artistique, c'était bien moi! D'abord j'avais une petite voix nasillarde, je chantais faux. (Vous me direz que ça n'a pas changé!) J'étais d'un tempérament peu combatif et d'un naturel brailleur. C'était tout un concert : moi je chialais et toute ma ribambelle de frères et soeurs chantaient1 . »

C'est vers l'art dramatique, pourtant, que Jacques Desrosiers se dirige à l'adolescence. Il s'inscrit au cours de Sita Riddez mais, au bout de six mois, laisse tomber. Jacques fait alors partie d'un groupe de comédiens amateurs qui montent des spectacles. Sa première place, Altitude 3200, lui fournit l'occasion de découvrir et de faire découvrir son potentiel comique. À la première, il fait son entrée au beau milieu du mauvais acte. Les spectateurs éclatent de rire. Lorsqu'il revient pour lancer son unique réplique : « Oh là! là! Armand est blessé  », au lieu du ton dramatique attendu, il le fait avec un fort accent du Midi à la Fernandel

« Après le spectacle, j'étais un peu gêné, mal à l'aise d'avoir provoqué des rires là où il n'en fallait pas. Les commentaires étaient partagés. Les deuxième, troisième et quatrième rangées m'avaient trouvé ben drôle, le metteur en scène un peu moins. L'accessoiriste de la troupe me prit à part et me dit avoir remarqué que j'avais de la facilité dans les imitations, de ne pas me décourager, d'exploiter mon côté fantaisiste, de travailler en ce sens et que, si je pouvais me monter un petit numéro, elle pourrait peut-être m'introduire à Radio-Canada par l'entremise d'un de ses amis, réalisateur, pour qui elle travaillait1. »

Jacques met alors au point quelques imitations (c'est d'ailleurs comme imitateur qu'il fera ses débuts) et apprend quelques chansons. Après un entretien avec Nicolas Doclin, réalisateur à Radio-Canada, il lui offre de tenir de petits rôles de figuration dans l'émission « Paillettes » (SRC, 1956). Jacques ameute parents et amis pour qu'ils surveillent ses débuts. Hélas, la première fois Jacques incarne un porteur noir, la seconde, il transpire sous un costume de gorille. Personne ne l'a reconnu. Il clôturera néanmoins la saison de la même émission en faisant une parodie du Ed Sullivan Show qui durera vingt minutes. Le journal Radio-monde titre : « Paillettes meurt en beauté avec le jeune Desrosiers ».

Les choses s'enchaîneront lentement mais sûrement pour le comédien. Après un séjour de neuf mois à Paris où il découvre, émerveillé, la ville Lumière, il rentre au pays et s'attelle sérieusement à sa carrière. À son retour il se joint au Théâtre de la Roulotte de Paul Buissonneau, jouant notamment dans « Les oiseaux de lune » (1958) à la Comédie Canadienne (aujourd'hui le TNM). Ensuite, c'est l'époque des engagements dans les cabarets de second ordre. Heureusement, la télévision recourt régulièrement à ses talents. Se constituant un répertoire de chansons fantaisistes, dont « Dans nos campagnes » (de Jacques Blanchet) et « La java à Lumina  », ainsi que de numéros d'imitations, Jacques Desrosiers fait ses débuts au cabaret La Page blanche de Québec en 1958. Il se produit ensuite Chez Gérard où il est remarqué par Andy Cobetto, le propriétaire du Casa Loma, qui l'invite à chanter en vedette à son prestigieux cabaret en novembre 1960. Faire le Casa Loma, à l'époque, c'était la consécration des consécrations!
 
Jacques se produit ensuite pendant plusieurs mois en 1963 et 1964 dans la revue musicale « Zéro de conduite » avec Dominique Michel, Denise Filiatrault et Donald Lautrec. Il s'agit d'un succès foudroyant. Il joue ensuite dans la comédie musicale « Le vol rose du flamant » (1964) de Clémence Desrochers et Pierre F. Brault. Habitué des émissions de variétés, Jacques Desrosiers anime à la télévision « Les trois cloches  » (TM, 1968), « Vaudeville » (TM, 1970), « Café-terrasse » (TM, 1972) et « Madame est servie » (TM, 1973).

Publié par Bespin le 23 mars 2004 dans Biographie
Édité : 30 décembre 2010 1:31 PM

Et ce qui devait arriver, arriva! (2/4)

Jacques Desrosiers lors d'un enregistrement d'une émission de la série Le cirque du Capitaine, en janvier 1972.
« Après un long moment de congé sans solde, sans cabarets, sans télévision, sans spectacles, je reçois un téléphone d'un réalisateur de Télé-Métropole, qui voulait savoir si je pouvais jouer un rôle de Clown, à l'émission du Capitaine Bonhomme . Je lui demande si c'est un gag. Il me dit que non, que c'est très sérieux. Si j'accepte, il me prendra à l'essai et, si tout va bien, si je fais l'affaire, j'embarque dans la série pour le reste de l'année. Il me laisse en me disant : "Penses-y et rappelle-moi le plus tôt possible." J'avais pas sitôt raccroché que je mets à penser : "Cout'donc, y veulent-tu rire de moi? Après dix-sept ans de métier! Y peuvent prendre n'importe quel jeune comédien, le maquiller puis lui faire faire le clown!1 . »

Il téléphone à son ami Gilbert Chénier, qui l'encourage à accepter, prétextant qu'un clown est un rôle comme un autre dans le fond! Jacques accepte l'offre sans se douter de tout ce qui suivrait... Lors du « meeting de production » avec Michel Noël, Marthe Choquette, l'oncle Pierre ( Désiré Aerts) et le réalisateur André Ouellet, on définit le rôle.

« Le réalisateur attire l'attention sur les clowns russes, tout le monde trouve l'idée intéressante d'autant plus que la Russie est un pays mystérieux et intriguant. Pourquoi pas le faire sortir de la Sibérie, d'où viendra sa légende? Il s'appellera Patof, clown russe, prénom Grégor, venu du fin fond des steppes de l'Asie-centrale, ayant fait partie des grands cirques des stars et que le Capitaine Bonhomme avait engagé lors d'un de ses voyages1 . »

Pierre Gauthier crée le look du personnage et Jacques s'embarque ainsi dans l'aventure Patof, nous sommes en janvier 1972...

« Chaque fois que j'entrais sur scène, le Capitaine était toujours de mauvaise humeur après Patof. Il lui faisait subir les pires humiliations. J'étais son souffre-douleur. Au milieu de l'émission, en grande pompe, on annonçait que le clown Patof, allait faire un gag. Le clown entrait et allait s'installer, au son des trompettes, sur un petit tabouret et faisait son petit gag. En terminant je disais : "on m'applôôôdit!"1. »

Patof connaît rapidement le succès, on décide de le garder pour la saison. Comme Jacques a toujours aimé faire des parodies de chansons, il improvise souvent sur le succès de Roger Whittaker « Oh Mammy Blues », changeant les paroles pour « O Patof Blues ». Cela plaît immédiatement aux enfants... à chaque entrée du clown les enfants chantent : « O Patof blues ». Jacques propose alors à un producteur d'endisquer la chanson, Gilbert Chénier écrit les paroles et voilà... En juillet 1972 la vague Patof fait rage au Québec. En peu de temps, il se vend au-delà de 100 000 copies. « Il s'est sûrement vendu plus de "Patof Blues" que la version originale "Mammy Blues" de Whittaker, au Québec! », raconte Jacques. Devant ce succès inattendu, le producteur Yves Martin et Gilbert Chénier décident de préparer un microsillon qui raconte toute l'histoire du clown Patof, arrivé de sa Russie natale.

Patof fait de la télévision en dehors de l'émission « Le Cirque du Capitaine » et est invité à chanter ses succès dans les émissions pour « teen-age ». C'est d'ailleurs dans une de ces émission que Patof reçoit son premier disque d'or pour « Patof Blou ».

« Le phénomène Patof était à son paroxysme. Ça n'a pas pris de temps avant que les compagnies de produits de toutes sortes me sollicitent. Un premier manufacturier me demande si je peux lui donner les droits pour mettre sur le marché des pyjamas, avec mon effigie. Je me rends compte de l'emprise de Patof et des possibilités de commercialisation. Je tiens à protéger mon personnage et je n'ai pas l'intention que d'autres s'emparent et profitent du clown. Je demande conseil à mon avocat qui me dit que je n'ai pas d'autre alternative que de faire enregistrer le personnage; ce qui signifiera donc que personne d'autre que moi ne pourra utiliser le nom, l'image, les couleurs de son maquillage, le costume et un éventail de produits inimaginables, dont je ne soupçonnais même pas à ce moment-là, l'existence1. »

Les pyjamas se sont vendus d'une façon incroyable. Cependant, Jacques confie :

« On oublie de plus en plus Jacques Desrosiers. Mon nom s'efface derrière le nom prestigieux du clown Grégor Patof. Lorsque je me promène dans la rue et les endroits publics, tout le monde m'appelle Patof. Ce qui me fait rire, c'est la réaction des enfants quand leurs parents me pointent du doigt en disant : "Regarde, c'est lui Patof". Et les tout-petits, d'un air sceptique, regardent les parents en voulant dire : "Ça s'peut pas! C'est pas un clown lui!" et ils continuent à chercher, sans faire l'association, Desrosiers –Patof1. » 

Patof remporte un second grand succès au Hit-Parade avec « Patof le roi des clowns ». Aussitôt sorti, le disque bat encore une fois les records de vente et Patof reçoit son deuxième disque d'or. Télé-Métropole, voyant que la popularité de Patof monte en flèche, confie à Jacques l'animation d'une émission qui portera le nom de « Patofville ».

Patof sera le maire du village et habitera dans une bottine géante. Gilbert Chénier fera office de policier et de pompier, d'où le nom de Polpon, et aura comme maison une théière parce qu'il adore le thé (dans l'émission). Roger Giguère qui était bruiteur au « Capitaine Bonhomme », fera un général du nom de Itof et habitera dans une citrouille. C'est dans un décor imagé et fantaisiste que se produiront toutes les situations qui peuvent arriver dans un village.

Une semaine après la fin de la série « Le Cirque du Capitaine », « Patofville » (TM, 1973) entre en onde en essai pour l'été. Patof et Polpon deviennent rapidement les personnages préférés des enfants. L'heure de l'émission devient leur rendez-vous quotidien. Après quelques mois seulement et le succès obtenu, Télé-Métropole décide de garder l'émission pour la saison d'automne.

Patof participe à une foule d'événements spéciaux en dehors de la télévision, il sera même engagé deux étés consécutifs pour animer le Cirque des Shriners au forum. Le second passage, en mai 1974, inspirera à Jacques Desrosiers la chanson « Goodbye, au revoir, dasvidanie ».

« Pendant quatre jours au forum, je suis le Maître de la piste. C'est Patof qui présente les numéros : les éléphants savants, les singes en bicyclette, les trapézistes et tout le cirque... Un soir, le clown avait été très impressionné par une vieille funambule qui lui avait raconté que depuis trois jours elle était peinée car elle n'arrivait plus à faire son triple saut du haut de son fil de fer, or elle devait le réussir au moins à son dernier spectacle pour sauver son honneur, car, si elle ne le réussissait pas, elle perdrait toute sa crédibilité devant les gens du cirque. Le dernier soir, lorsque j'annonçai la funambule Malakova dans son triple saut, j'avais le coeur serré en lui souhaitant Bonne Chance! Et, c'est sous les ovations et les bravos, qu'elle réussit son triple saut. C'est une histoire pathétique, relatant la vie de cirque. Patof en était aussi. Devra-t-il, un jour, se confronter devant le triple saut? Cette situation m'a inspiré une chanson, où je cite Malakova et ses adieux au Cirque : " Goodbye, au revoir, dasvidanie! "1 . »
Publié par Bespin le 23 mars 2004 dans Biographie
Édité : 02 novembre 2011 4:50 PM

Patof vs Desrosiers (3/4)

Patof blues...

Jacques se retrouve à la tête d'une véritable entreprise : il endisque d'autres chansons, produit des gadgets Patof, donne des spectacles, bref, n'arrête pas une minute. Mais comme le succès ne vient jamais seul, la popularité du clown et surtout sa commercialisation commencent à soulever un tollé de critiques.


« Pas de la part du public mais de la part de certains journalistes; je dis certains, parce que ce n'était pas tous les gens de la presse. (...) Mais un médium d'information comme La Presse, consacra une série de sept articles pendant une semaine, sur le phénomène Patof et, durant sept jours, on pouvait voir la photo du clown, avec des titres aussi signifiants que : "Patof exploite-t-il les enfants?"  Je ne comprendrai jamais pourquoi, quand on parlait d'exploitation du clown, par rapport aux enfants, les magasins regorgeaient de produits "made in U.S.A." avec tous les personnages de Disney? Et, je ne comprenais pas non plus que dans le hall d'entrée de la Maison de Radio-Canada, on retrouvait un kiosque où l'on vendait des produits tirés des émissions enfantines telles que Bobino, Nic et Pic... etc1...? »
« L'erreur de Patof, c'est que lui, il vendait beaucoup! Alors, je crois que venant de là, ça a pu attirer une certaine jalousie. Dans le fameux article, on mettait en doute la valeur pédagogique du clown. je n'avais pas été engagé, je crois, comme pédagogue, mais pour divertir. Mon rôle était de faire le clown et d'amuser les enfants. On faisait des efforts du côté éducatif. Chénier se faisait aider par des spécialistes dans la matière pour ses textes mais ce n'étais pas une émission basée sur la pédagogie seulement sinon, les enfants nous auraient vite quittés car, au scolaire, ils en avaient assez de leurs cours. Nous n'étions là que pour distraire1. »
« Le personnage de Patof faisait partie du rêve et de l'univers des enfants. Pourquoi vouloir leur enlever? L'enfance, j'en ai eu une aussi et j'aurais bien aimé également avoir un Patof qui m'aurait amusé et permis de rêver, au lieu de passer mon enfance à genoux dans un coin, à regarder tristement par ma fenêtre, rue Chambly! Moi aussi, j'aurais aimé avoir un pyjama Patof pour me coucher et des jouets avec la photo de mon idole! Mais, en ce temps-là, il n'y avait pas de télévision, pas de jouets, pas de Patof, juste mon petit coussin gris1... »
« Plongé dans une réalité, morne et triste et face aux embûches de la vie, avoir un peu de rêve, quand on est enfant, c'est important! On devient déjà trop vite adulte, et on est trop vite plongé dans un réalisme brutal... J'ai vu des enfants de toutes les sortes, de toutes les couleurs! J'en ai pris sur mes genoux et j'en ai amusé beaucoup. Patof, c'était un monde pour eux. Vous auriez dû les voir toucher mon nez rouge, ils auraient voulu m'emmener chez eux1 ! »

Les émissions de « Patofville » se succèdent de plus belle, on confie également à Jacques l'animation d'une autre émission qui passera les samedis et dimanches du nom de « Patof raconte » (TM, 1975).  Malheureusement un drame vint assombrir le tableau. Pendant un enregistrement de « Patof raconte », le 14 septembre 1975, Gilbert Chénier est victime d'un malaise et se rend à l'hopital où on lui diagnostique une hépatite aigüe.  Six jours plus tard, le 20 septembre, Gilbert Chénier meurt à l'âge de 39 ans.  Jacques perd alors la personne en qui il avait le plus confiance.

« Gilbert qui était à mes côtés quand j'ai perdu ma mère, m'avait secondé, ne m'avait pas laissé d'une semelle pendant toute cette affreuse période et voilà maintenant que c'était lui qui me quittait. Je me sentais vraiment désemparé! Ce que nous avions vécu ensemble, nos grandes peines, nos grandes joies, TOUT S'ÉCROULAIT! Je venais de perdre un grand Ami1! »

La direction de Télé-Métropole remanie le décor, change de formule; l'action se déroulera désormais à la gare de Patofville.

« Nous avons trouvé un autre scripteur qui travaillait souvent avec Gilbert, comme collaborateur, au niveau des idées d'émissions, mais, sans faire de comparaisons, ce n'était pas la même chose et c'était normal parce que Gilbert avait vu naître Patof. (...) C'est lui aussi qui avait donné tout le côté féerique en écrivant les textes et toute sa dimension à l'émission par ses chansons et les situations qu'il inventait. La mort de Chénier avait tout chambardé et ralenti grandement l'élan de Patof1. »

La nouvelle émission connaît quand même du succès. Mais, parce que Télé-Métropole n'était pas préparée à ce genre de phénomène, elle veut désormais s'approprier les droits sur le personnage. Patof, qui dépassait largement le cadre de la télévision demeurait pourtant la propriété de son interprète...

« Avec les droits réservés que je m'étais accaparés, le seul pouvoir que Télé-Métropole avait sur le clown, était de l'enlever de l'horaire et d'arrêter la production de l'émission. C'est par principe que la "grosse machine" voulait reprendre les droits dérivés de Patof, et aussi pour éviter que dans le futur une situation du même genre ne se représente. Ce n'était pas seulement une question d'argent, ce que Patof retirait de ses produits, était quand même minime en comparaison des bénéfices que faisait la direction1 ... »
« C'est en pleine séance d'enregistrement, que je reçois un message du réalisateur, me disant de me présenter au bureau de la direction, dans le plus bref délai. Aussitôt que l'enregistrement est terminé, je monte au Bureau de Direction des programmes. C'est en habit de clown, que j'ai passé devant le comité et qu'il m'a été donné comme avertissement, que si je ne cédais pas mes droits, l'émission n'irait pas en onde et que Patof allait mourir de sa belle mort. Tout cela s'est fait dans un climat assez sarcastique, on m'envoyait des boutades comme : "Ça nous fait bizarre de discuter d'affaires avec un clown"; accompagnées de quelques rires étouffés... Le clown pensait en lui-même : "Attendez de vous retrouver devant le cirque d'avocats que je vous prépare..."1. »

Pendant deux semaine, l'émission ne passe pas en ondes, malgré les téléphones et les lettres de protestation. Après plusieurs discussions et négociations, une entente presqu'amicale survient. Desrosiers cède ses droits pour un contrat d'émissions de deux ans ferme. Il est à noter qu'il existe depuis l'expérience Patof, un bureau de droits dérivés à Télé-Métropole...

La série « Patofville » est rebaptisée « Patof voyage » (TM, 1976) et en voulant faire peau neuve, un nouveau personnage fait son apparition : la marionnette Monsieur Tranquille (Roger Giguère). Tranquille connaît rapidement le succès et passe au premier plan. Patof est relégué aux oubliettes...

« On me rappelle, on me demande si je veux faire l'émission de Tranquille, mais dans le rôle d'un nouveau personnage. Nous ferons une saison avec Eugène et Tranquille (TM, 1977), je passais au second plan, mais l'émission n'a pas connu le succès escompté. Ils trouvent une nouvelle formule la saison suivante avec Tranquille et un autre comédien, puis l'émission est retirée de l'horaire. C'est la fin du clown Patof à la télévision, parce que Tranquille était né de l'univers de Patof et maintenant il est, lui aussi, relégué aux oubliettes1... »

Patof reviendra amuser les enfants aux côtés de Nestor (Claude Blanchard) à l'été 1980, pour une série de spectacles au Parc Belmont.

Publié par Bespin le 23 mars 2004 dans Biographie
Édité : 08 décembre 2013 7:29 AM

Le retour à la terre (4/4)

Jacques Desrosiers

Au fil des ans, Jacques Desrosiers est devenu un homme d'affaires redoutable, devant sa bonne fortune à la chance et à son insécurité incurable qui l'a toujours poussé à faire fructifier ses économies. Il est retourné à la terre paternelle et s'est mis à lotir le Domaine Desrosiers, une étendue de près d'un million de mètres carrés à Sainte-Lucie, au nord de Sainte-Adèle, qu'il avait acquis avant l'aventure Patof. 

« Depuis mes débuts, je n'avais pas eu le temps de faire de pauses, de faire le point, étant trop occupé par la volonté de réussir. Toute mon énergie était consacrée au métier, et chaque pas était orienté vers ce but. Ça n'a pas été facile de vivre si intensément, de parcourir un si long chemin et d'arrêter si radicalement! C'est une nouvelle adaptation qui ne se fait pas aussi facilement! Même en vivant à la campagne, je me pose encore des questions : "Moi, Jacques Desrosiers, qui voulais devenir comédien, j'ai travaillé, j'ai tout fait pour, j'ai sué, j'en ai bavé, puis je voulais une sécurité, de l'argent! Ensuite, il vient quoi?"1. »
« Je vois les saisons passer, les feuilles pousser, les feuilles tomber, les journées de pluie, les cieux ensoleillés, je fais quoi? Assis dans ma campagne, j'essaie de me retrouver, puis je m'ennuie du métier! C'était mon essence de vie! Suis-je comme Malakova qui avait de la difficulté à faire son triple saut? Est-ce que je vais le réussir moi, mon saut, de Patof à Desrosiers1? »

Comme comédien, Jacques Desrosiers a tenu des rôles dans les téléromans « Chère Isabelle » (TM, 1976-1977), « Chez Denise » (SRC, 1978-1982), ains que dans la dramatique « Michel et François », de la série « Avec un grand A » (SRC, 1990). On a pu le voir également dans « Scoop IV » (SRC, 1995).

Au cinéma, il a joué dans les films « C'est pas la faute à Jacques Cartier » (ONF, 1967) de Clément Perron et Georges Dufaux, « Après-ski » (1971) de Roger Cardinal, « Le Party » (1990) de Pierre Falardeau et « La Florida » (1993) de Michel Poulette

Il a joué au théâtre dans quelques comédies, dont « La muselière » (1991) et « Femme demandée  » (1995) au Théâtre des Variétés. 

Jacques Desrosiers est né le 8 juillet 1938 à Montréal, il a succombé à un cancer des os et des poumons le 11 juin 1996 après une courte maladie.


 
« Après tout, je ne suis qu'un artiste qui a seulement essayé de tirer son épingle du jeu. Quand on est en pleine gloire, le succès apporte l'argent, mais le succès est éphémère et souvent, la retraite de l'artiste est beaucoup plus longue. Le drame de ma vie, ça a été l'insécurité mais c'est elle, aujourd'hui, qui me permet de prendre le temps de vivre et de penser. Mon angoisse m'a fait peut-être rater de bien belles choses, de bons moments, mais c'est le prix que j'ai dû payer! Cependant, j'aime la vie, j'aime mon métier et je n'ai pas hâte d'en voir la... fin1. »



 


1. DESROSIERS, Jacques.  Jacques Desrosiers, Millionnaire. Boucherville, Les Éditions de Mortagne, 1981.

Publié par Bespin le 23 mars 2004 dans Biographie
Édité : 01 avril 2011 5:34 PM

« Bibliographie |Page principale| Disco Desrosiers »